Presque fictif (7)
José Luis a la barbe clairsemée, de la crème solaire sur le visage et une tête de mariole. On dirait à sa lèvre gercée qu’il se l’est ouverte en tombant, hier soir, après avoir bu trop de rhum, mais il n’y avait aucune bouteille en vue, lorsqu’on l’a aperçu jouer aux cartes sur la place du village. C’est peut-être que José Luis a juste l’air d’un vaurien. Un gentil vaurien.
C’est un volcan éteint, aux pentes vertes boisées de pins et d’eucalyptus. On y trouve aussi des fleurs blanches minuscules à quatre pétales. Si vous avez beaucoup de chance, vous en trouverez une qui en a cinq. « C’est un porte-bonheur », dit José Luis en se penchant. « Quand j’étais gosse, j’en cherchais avant mes matchs d’équavolley. »
L’équavolley, c’est comme du volleyball, mais avec une balle plus dure et un filet plus haut. José Luis, c’est le propriétaire de l’auberge la moins chère, quoique très confortable, de Chugchilán, village d’une centaine d’âmes séparé par un canyon du volcan Quilotoa, 3900 mètres d’altitude. Il y est monté, ce matin, avec deux ouvriers qui portent des sacs remplis de piquets à l’extrémité peinte en rouge, pour les planter le long du chemin qui ramène à Chugchilán, parce que les touristes se perdent. Quelqu’un déracinera peut-être les piquets, comme les panneaux de métal qu’il avait posés il y a quelques années, parce que c’est mauvais pour le business des guides. Alors José Luis tape fort avec son marteau, tous les vingt ou trente mètres.
Ces temps, il constate que la météo est folle. Normalement, à cette époque, il pleut. Mais le vent à défriser les chevaux qui broutent sur la crête du Quilotoa empêche les nuages de se briser au-dessus des champs de maïs, d’orge ou de patates. Une rafale envoie valser la casquette d’un des ouvriers. Le bonnet de polyester noir de José Luis est vissé sur sa tête. Ils se relèvent, et continuent le tracé, personne, ce matin, ne les croise sur le chemin. En contrebas, le lac est un œil bleu qui devient émeraude, plissé par le vent, lustré à toute vitesse par les balayements de soleil. Aucun canoë ne s’y est risqué pour l’instant. José Luis peut nager, plus ou moins. Mais faire le malin sur le lac de Quilotoa ? Non merci. Il y a deux ans, trois étudiants y ont fait les marioles, surtout l’un des trois, celui qui savait nager. Il a secoué le canoë jusqu’à ce que ses deux amis tombent à l’eau. Seulement, quand ils sont remontés à bord après la frayeur de leur vie, c’est lui qui avait disparu, lui, le seul qui savait nager.
José Luis pense que Quilotoa n’aime pas qu’on fasse le mariole chez lui. La police a sondé ses eaux à la recherche du disparu : ce jour-là, le brouillard s’est levé, et après avoir mesuré huit cents mètres de profondeur, pente toujours descendante, les flics n’y voyant goutte ont renoncé. De l’étudiant, on n’a retrouvé qu’une chaussure.
José Luis s’arrête un instant de taper avec son marteau, se relève, et sourit. C’est une bonne histoire à raconter aux touristes. Comme celle de son arrière-grand-mère, morte à 110 ans, qui lui contait l’époque où le lac montait jusqu’à la crête. Où les eaux explosaient en bouillonnements internes. Basculaient parfois hors du cratère, et ainsi se sont jadis formés le canyon et la rivière qu’on traverse par un petit pont, avant de remonter vers Chugchilán, non ?
José Luis et ses compagnons laissent Quilotoa derrière eux. Ils descendent à travers les champs et les pâturages, ramassent les déchets des autres, saluent les bergères à robe large et chapeau de feutre. Son frère les attend plus bas, au village de Guayama, pour les ramener dans son pick-up déjà chargé d’enfants.
José Luis pense aux travaux à terminer à l’auberge, et à la nouvelle, plus luxueuse, que sa famille construit en dehors du village et qui fera rentrer l’argent des touristes fortunés. Il pense à la route en train d’être creusée dans la montagne, pour rejoindre Zumbahua et l’axe de la Panaméricaine, et qui amènera certainement plus de monde que la piste à nids de poule actuelle. C’est Correa, le président, qui a décidé de faire construire cette route, parce que sa voiture a flanché, lorsqu’il est venu, en touriste, à Chugchilán. Tant mieux. Il votera pour lui, en février prochain.
José Luis, au fond, est optimiste. Cela doit juste être sa barbe clairsemée, ses traces de crème solaire et sa lèvre gercée qui lui donnent un air, comment dire ? Un air de mariole fatigué.
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