Arrivée en Equateur, 3 janvier.
Tumbaco, à vingt minutes de Quito, six heures. Le jour point lentement. Les oiseaux fredonnent. Les bus matinaux défilent avec des bruits de piston. Je suis dans un petit parc en face de l’entrée du Club Nacional de football, « où se forment et se forgent les meilleurs joueurs d’Equateur », et j’attends mon hôte, Pablo. Paisiblement.
Il y a quelque chose à dire de l’angoisse qui saisit lorsqu’on arrive avant l’aube, pas frais, la bouche pâteuse, à peine tiré des songes, dans une capitale sud-américaine. On arrive à l’aéroport ou au terminal, violence du réveil, réflexes engourdis, on dit « oui » au type qui vous voit débarquer et vous demande, « taxi ? », et on le suit jusqu’à sa voiture qu’on espère un taxi véritable, et qui vous emmène en trombe à travers les routes désertes qui à cette heure ont toutes l’air vaguement menaçant. L’angoisse de s’en remettre totalement à ce type dont on voit une petite portion rectangulaire du visage, qui dit de temps en temps quelque chose d’incompréhensible dans sa radio ou écoute un CD de hits latinos, qui n’enclenche aucun taximètre en vue et qui vous lance quelques regards fugitifs, à moins qu’ils ne soient dédiés à surveiller l’arrière de la route ; et il pourrait tout aussi bien vous emmener dans un coupe-gorge, ou chez son cousin détrousseur de gringos, ou à l’autre bout de la ville avec une sursurtaxe, on imagine à vive allure malgré les bâillements, on a le regard acéré, on répond avec méfiance à ses deux ou trois phrases en désirant un grand lit moelleux et en culpabilisant un peu car il a l’air brave type, mais quand même, d’où vient cette angoisse tissée de rêves pas finis, de films sur les gangs mexicains et de mythes urbains, mais quand même, on a entendu tellement d’histoires et on connaît en tout cas celle du paseo millonario, la promenade millionnaire, qui consiste à amener le señor turista au distributeur le moins proche pour lui extorquer tout son fric, armes à l’appui, bref : on flippe sa race à son corps défendant, mais, tout à coup, la voiture s’arrête. Et le type reçoit la somme prévue, vous ouvre le coffre pour en extraire votre maison à bretelles, vous dit au revoir, bonne journée, et voilà, il vous laisse au bon endroit, après dix ou vingt ou quarante minutes de trajet dans la nuit, et il s’en va. Et vous vous restez là, avec vos sacs devant la pépinière du foot équatorien, un passant très matutinal vous dépasse sans vous regarder, et vous pouvez, enfin, vous laisser aller à vous sentir un peu idiot, en bâillant.
Photos : passage de la Colombie à l’Equateur. Nouvel An à Ipiales, neuf heures d’attente à la frontière avec Claudia et Dionigi, un poulet et demi bien mérité, et enfin Tumbaco, banlieue de Quito.
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One Response to La déraisonnable angoisse du taxi d’avant l’aube
Je la connais, cette angoisse. La seule que j’aie ressentie en Equateur, d’ailleurs. Le premier jour. En l’occurrence, ce n’était pas un taxi véritable…
Bonne continuation. Bois une Pilsener pour moi. Mais gare au chuchaqui, quand même…