« As-tu du bon wifi? »

« Est-ce que tu manges bien ? » C’est ce que ma grand-mère me demande, à chaque fois que je lui téléphone, depuis l’Espagne, New York ou un hamac colombien. C’est sans doute une question de grand-mère, et tous ceux qui ont la chance d’en avoir une (ou deux) doivent l’avoir entendue, lors de leur tour du monde, séjour linguistique, excursion balnéaire ou week-end à Schaffhouse. Non ?

Mais c’est aussi la question d’une grand-mère qui a connu, même à l’échelle suisse, une certaine forme de privation, qui a connu les coupons de 39-45 et l’ère d’avant l’abondance. Une ère que l’Occident, et surtout la Suisse, a quelque peu oubliée, mais dont les traces perdurent, non seulement chez les grands-mères : Manuel vient de me raconter qu’en coréen, la phrase « comment vas-tu ? » signifie littéralement « comment as-tu mangé ? » (Je n’ai pas vérifié. C’est presque fictif.)

Nous sommes quelque part sur la côte caribéenne, dans un village de pêcheurs reconverti en plage à gringos, Taganga. Il y a des restaurants à foison, des fruits, des boissons. Les jeunes Américaines, Australiens, Français qui défilent entre les hamacs ont un autre souci en tête : est-ce qu’Internet fonctionne ? Les sacs déposés dans les dortoirs, les heures du petit-déjeuner assimilées, c’est la question qu’on pose avec angoisse au Robert ou à la Patricia de la réception : y a-t-il du wifi ?

La réponse est (presque) toujours : oui, le réseau s’appelle comme ça, la clé est 12345678. Mais ce n’est encore rien, et le backpacker le sait. Il sort son ordinateur portable ou son smartphone, et le voilà, errant sur les pierres, le regard fixé dans la lumière blafarde de l’écran, indifférent aux perroquets en bois de la déco comme au mouvement des feuilles des palmiers, à la recherche du signal, des petites barres blanches ou bleues, soupirant, levant les yeux au ciel, pestant contre les « accès limité » et les « pas d’identification IP ».

Parce que je fais partie de la horde, parce que j’ai l’air aussi ridicule que les autres, à m’escrimer sur mon clavier qui surchauffe (comme on était bien, sur le cargo), je me mets à rêver : dans quarante ans, j’appellerai ma petite-fille de passage en Chine du Nord via Skype 8.0 et lui demanderai, les énervements d’antan encore au fond du cerveau : « As-tu du bon wifi ? » Qui sait : elle, avec sa puce Internet intégrée à l’avant-bras, trouvera peut-être la question touchante, mais n’osera m’avouer que son vrai problème, avec 9 milliards d’êtres humains sur cette foutue planète, sera de bien manger.

 

P.S. Promis, ce sera le seul post sur mes petits problèmes de connexion.

3 Responses to « As-tu du bon wifi? »

  1. Alain

    C’est tellement juste, merci.

  2. Dan

    Oui!

  3. Kayam

    Ah ah ah ton article me rappelle le film « St Jacques la Mecque » avec Muriel Robin, au moment ou tous les pélerins en route pour Compostelle sont comme des grands couillons sous un immense arbre, en train de tourner en rond avec les portables à la main, à chercher du réseau, après qq jours de « privation » réseautique!!!!
    LOL………. soupirs………………… nous sommes tous les mêmes geeks à travers le monde. il faut justement savoir rire de nous…………….
    on t’embrasse RufRuf

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