Presque fictif (6)
A-t-il fini par la voir, cette Colombie des médias, d’Ingrid Betancourt, des atrocités de la guérilla et de ses pendants paramilitaires, devenues aujourd’hui les « Bacrim », pour « bandes criminelles » ? Non, bien sûr. Il glandait sous les palmiers. Mais il a entraperçu, ce matin, dans un centre de conférences de Bogotá, une autre Colombie, née de la première, pour la rejeter et un jour prochain la faire basculer, qui sait, dans l’histoire.
Il s’est rendu à l’ouverture d’un Forum de trois jours, consacré à recueillir les doléances et les propositions de la société civile autour du problème, à la base même de l’insurrection il y a cinquante ans et toujours non résolu, de la réforme agraire. Un forum convié dans le cadre des négociations de paix entre le gouvernement colombien et les Forces armées révolutionnaires (FARC), qui ont débuté cet automne à La Havane, et se poursuivront en 2013.
Alors que, déjà, la sceptique population colombienne se moque des « vacances à Cuba » offertes aux guérilleros, en gardant en mémoire l’échec des pourparlers des précédentes décennies, plus de 1200 personnes sont néanmoins là, dans cette grande aula pleine à craquer, dans cette arrière-salle plongée dans le brouhaha des cafés sucrés servis dans des gobelets blancs. Il a zigzagué entre les cameramen et les photographes, les présentateurs en plein direct télévisuel, les odeurs de pieds et de transpiration. Il s’est levé avec tout le monde quand, avant tout discours monocorde ou vibrant, l’hymne national a été entendu. Il a demandé à quelques-uns des assistants qui devront, dans une succession de tables rondes, tenter de se comprendre, et de faire naître des propositions à envoyer aux négociateurs de La Havane, ce qu’ils attendaient de ces trois jours.
Il a ainsi tendu l’oreille autant que possible pour capter les paroles d’Elsy, représentante d’une organisation de femmes paysannes d’une région sinistrée par le conflit, appuyée dans un coin contre le mur de l’amphithéâtre : « J’espère que nous verrons les fruits des propositions que nous faisons, et que ce ne sera pas comme toujours : le gouvernement nous convie, et ensuite tout cela reste sur papier. »
Il a serré la main de Ricardo, directeur technique de la Fédération des producteurs de café, le sourire dans sa barbe : « J’ai beaucoup d’espoir. La situation s’est énormément améliorée. La Colombie est en train de prendre confiance en elle. »
Il a pris une leçon de géographie auprès de Luis, jeune délégué coiffé de plumes des indigènes Korevajü : « Il y a de l’espoir, mais nous autres qui sommes dans la montagne loin de tout moyen de communication, nous n’avons pas encore remarqué de changement. Chez nous, les territoires ne sont pas définis, et le conflit continue. »
Assis dans l’assemblée, une fois que celle-ci eut terminé de grignoter les empanadas servies par une armée de grooms en tablier soudainement apparue entre les rangs, il a écouté l’un des orateurs, Bruno Moro, représentant des Nations Unies coorganisatrices du Forum, affirmer : « Nous ne commençons pas de zéro. » Puis être interrompu par les applaudissements, au moment d’invoquer « Gabo » García Marquez : « Colombia no está condenada a cien años más de soledad. »
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One Response to Cinquante ans de solitude
C’est bien d’être sorti de ton village de pêcheurs, autrement nous n’aurions plus rien eu d’autre que des photos de la série « Siesta Tour ». Et puis nous aurions trouvé de plus en plus inacceptable de continuer à nous les geler par ici !