Pendant que vous regardiez la réélection d’Obama (oui, je sais tout, mais avec un jour de retard, grâce à « NL South Pacific News », 4 pages imprimées quotidiennement qui relatent les faits du monde et des iles Kiribati, origine de 9 marins à bord), pendant ce temps, donc, le gros Mario m’a fait visiter les salles des machines. Je pense avoir compris 10% de ce qu’il m’a expliqué, dans son allemand du Nord baragouiné au milieu du bruit et de la chaleur, mais j’ai adoré. Il m’a conduit à travers les portes, les passerelles, les escaliers, m’a décrit chaque turbine, filtre, pompe, refroidisseur, générateur, le parcours de l’huile, de l’air et de l’eau dans les innombrables tuyaux, m’a montré la taille des pistons de la « machine principale », que j’ai à peine réussi à soulever, et aussi des sortes d’écrous géants que l’eau érode au point de percer des trous et que ses gars (les « Jungs ») doivent remplacer…
Nous sommes 22 à bord du Hanjin San Diego. Mario est le « chief engineer », le gars responsable de ce que le bateau fonctionne, quoi. Il vient de la mer Baltique, à l’est de Hambourg, comme tous les Allemands très corrects et très nordiques qui forment le corps officier de l’équipage. Les moussaillons, eux, sont tous Kiribatis et, entre deux, il y a les Philippins. Comme Eustace, un petit gaillard très gentil, 3e officier, qui fait du vélo sur l’île de Mindanao quand il n’est pas sur un bateau, c’est-à-dire parfois un seul mois par an. Eustace a embarqué à Gênes, soit quatre jours avant moi. A Algeciras sont montés deux nouveaux marins, un jeune Russe au regard éteint et un Kiribati engagé pour 11 mois et qui m’a demandé où allait le cargo, parce qu’on ne le lui avait pas dit. Le premier jour en mer, Eustace était chargé de nous faire visiter le navire, au Russe, au Kiribati et à moi. Il nous a emmenés dans le bateau de sauvetage orange suspendu à des chaînes, et nous a même montré comment allumer le moteur, au cas où. Pour une raison qui m’échappe, ca m’a fait pas mal flipper, et j’ai été soulagé lorsqu’il a fini par l’éteindre. Le même jour, Eustace est venu dans ma cabine avec la liste de l’équipage (qu’il devait mettre à jour) sur une clé USB, car l’ordinateur du pont de commandement est entièrement en allemand. Manque de bol, ma version d’Excel est en francais. Mais ne vous moquez pas: Eustace parle 5 des 72 langues qui existent aux Philippines.
A part ça, je regarde l’Atlantique. Pendant des heures. Je ne sais ce qui est le plus beau, la quille ronde qui fonce sous la surface, lorsqu’on penche la tête à la proue, et sort périodiquement de l’eau en une explosion blanche, comme un gros poisson très véloce; l’écume que cela provoque, les vagues qui ressemblent aux montagnes des dessins japonais; la mousse qui reste ensuite, plus en retrait, le long de la coque, comme un tapis de cercles blancs toujours en mouvement, qui frémit avec un bruit familier; le vaste mouvement argenté vers l’ouest, à la tombée de la nuit; ou l’horizon bleu infini… J’ai déjà vu des oiseaux, des arcs-en-ciel, et la Voie lactée comme je ne l’avais jamais vue dans ma vie. En attendant les baleines, qui sait?
2 Responses to Au milieu de l’Atlantique
Fais gaffe au Russe au regard éteint. C’est un agent du KGB qui doit mettre le Hanjin San Diego en contact avec le dernier torpilleur nucléaire atomique russe à frayer dans les eaux new-yorkaises. Sandy, c’était eux. Ils veulent remettre ça. Votre salut passera par le Kiribati… Mais c’est où, en fait, le Kiribati???
Rince-toi l’oeil et les oreilles et le nez sur ton rafiot! Et crois-moi, sur ce coup-là, j’ai des images qui me reviennent dans tout ce que tu décris.
See ya!
Et les tempêtes ?
Et elle est pas un peu trop nord ta route ?
Vous vous baignez ?
T’as lu Philémon ?
http://sardinette.files.wordpress.com/2012/07/philemon-p23.jpg
Samuel, au milieu de la nuit