L'encre de Patagonie http://www.mou.ch/matthieu/wordpress Matthieu, la plume et l'Amérique Fri, 23 Aug 2013 08:17:13 +0000 fr-FR hourly 1 http://wordpress.org/?v=3.4.2 Secrets du monde http://www.mou.ch/matthieu/wordpress/?p=1004 http://www.mou.ch/matthieu/wordpress/?p=1004#comments Wed, 05 Jun 2013 16:38:36 +0000 matthieu http://www.mou.ch/matthieu/wordpress/?p=1004 Qu’arrive-t-il, lorsqu’on prend l’avion, et non plus le bus, pendant douze heures ? On change de continent. Donc d’espace-temps. Donc d’identité. On se retrouve sur une plage de coquillages face à la Manche, un jus de pommes dans les mains, des mouettes qui parlent un anglais rouge et bleu tout autour de soi. On ne voyage plus en Amérique du Sud. Alors on sourit un peu tristement, et on fredonne… On fredonne la bande-son du voyage.

Sultans of Swing, le solo de guitare de la fusée de lancement Daniel Vuataz, retrouvé sur un débarcadère de Brighton.

White Unicorn, le solo de batterie de la fusée orbitale Manuel Arriaga, retrouvé dans une cage d’escalier de Brixton.

No permita la virgen, la chanson du dernier soir en Europe, cette bonne Europe somnolente, retrouvée à l’aube sur un tarmac glaciaire.

On ne fredonne pas Live while you’re young et Gangnam Style, bandes originales involontaires mais très insistantes du crapahutage globalisé. On chantonne The Wrestler, qui fut une béquille certaines heures un peu fragiles en Equateur, Love’s been good to me, pour oublier les sourires sans les oublier, Le traiettorie delle mongolfiere, pour continuer à rêver. Et Bashung, Ali Farka Touré, Onda Tropica pour la magie de Colombie, Féloche, qui a rythmé les déserts panoramiques du Chili, et on se rappelle certain dialogue (7:05-8:25), répété comme un mantra joyeux et totalement inutile avec Daniel Gonzalez, la fusée parachute.

Surtout, on écoute et réécoute un joyau, découvert grâce à Manuel, et d’une façon ou d’une autre connecté à l’âme des petits routards de l’espèce mélancolique et joyeuse, photographe et plumitive, reconnaissante et impatiente, avide de comprendre et de ne rien comprendre. Quelque chose qui embrasse tout, les cahots des bus, les trésors imaginaires des Incas, les visages et les odeurs, la puissance du souvenir et du désir renouvelé pour les secrets du monde : Cortez the Killer.

 

Merci aux lecteurs, merci aux passeurs, merci mille fois aux généreux hommes et femmes des trois continents pour leur aide, leur accueil et le rythme!

Brighton, 18 mai 2013

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Les aveugles et les chemins http://www.mou.ch/matthieu/wordpress/?p=996 http://www.mou.ch/matthieu/wordpress/?p=996#comments Tue, 14 May 2013 19:23:42 +0000 matthieu http://www.mou.ch/matthieu/wordpress/?p=996

Dernier jour en Amérique du Sud. L’incrédulité l’emporte. C’est que je n’ai eu ni le temps, ni l’état d’esprit nécessaires à vivre cette ville autrement que comme un port de passage.

Avant de partir, je pensais m’installer au moins un mois à Buenos Aires, y nouer des liens, y apprendre les bases du tango, y faire même un stage dans un journal. Je pensais prendre un bateau, traverser l’estuaire de la Plata, et aller faire du cheval en Uruguay. Mais je me suis égaré avec bonheur sur les chemins du continent, je n’ai tenu aucun délai auto-imposé, sauf le dernier : la date du retour, déterminée par des raisons obscures, d’autres évidentes, comme le mariage d’un frère ou une lecture publique en terres britanniques. Je me contente donc d’un seul cours de tango, d’une vie de porteño et d’un Uruguay champêtre imaginés, et des derniers arpèges, forcément dissonants, du voyage : un livre qu’on m’a recommandé tant de fois, acheté chez un antiquaire un peu sourd ; les rues taguées de San Telmo, arpentées tranquillement ; la Suisse-Allemande au bout du Skype qui me parle du goût des alfajores quand je lui demande pourquoi ma carte de crédit ne marche plus ; les percussions tourbillonnantes du groupe Bomba de Tiempo, dans un grand hangar culturisé du quartier d’Abasto, me renvoyant par transes intermittentes les vibrations et les silences des sept derniers mois. Et une équipe d’aveugles, marchant de front sur le chemin d’un parc du quartier de La Boca, conduits par un seul homme aux yeux clairs. La vision de ces quelques aveugles avançant très lentement, bras dessus, bras dessous, souriant au soleil caressant d’automne, à cent mètres du silencieux stade de la Bombonera, me secouant soudain de la plus forte émotion de ces dernières heures.

L’encre de Patagonie est – presque – arrivée au point final. Vous n’y lirez pas de grand bilan de l’aventure, encore moins de grande morale de l’histoire. Tout au plus un poème, écrit par Neruda. Encore un foutu romantique, celui-là…

Hay un cementerio de abejas
allá en mi tierra, en Patagonia,
y vuelven con su miel a cuestas
a morir de tanta dulzura.

Es una región tempestuosa,
curvada como una ballena,
con un permanente arco iris
como una cola de faisán :
rugen los saltos de los ríos,
salta la espuma como liebre,
restalla el viento y se dilata
por la soledad circundante :
es un círculo la pradera
con la boca llena de nieve
y la barriga colorada.

Allí llegan una por una,
un millón junto a otro millón,
a morir todas las abejas
hasta que la tierra se llena
de grandes montes amarillos.

No puedo olvidar su fragrancia.

 

(Pablo Neruda, Fin de mundo)

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L’encre de Patagonie http://www.mou.ch/matthieu/wordpress/?p=978 http://www.mou.ch/matthieu/wordpress/?p=978#comments Sat, 04 May 2013 07:00:01 +0000 matthieu http://www.mou.ch/matthieu/wordpress/?p=978

La route semble réduite à sa plus simple expression. Des plaques de béton la délimitent à peine du gravier des bas-côtés. Nous ne croisons presque que des camions. A l’instant nous bifurquons à gauche, en direction de Cerro Sombrero – le mont chapeau. Ce n’est qu’un village sur la plaine. Des deux côtés du chemin, des steppes que ne clôt aucune cordillère à l’horizon. Parfois de vastes pâturages, toujours une barrière de piquets de bois. Des moutons partagent leur territoire avec une autruche. Isolé, un cheval noir broute. Vers le sud, toujours ces buissons dorés à n’en plus finir sous le ciel ; au nord brille un soleil voilé. Les panneaux disent « ruta del fin del mundo ». Nous approchons de l’extrémité du continent, du détroit de Magellan. Une mouette, perdue au-dessus de nous, annonce la mer. La voici.

Nous traversons le détroit liant l’Atlantique au Pacifique sur un ferry, dans le vent qui gerce les lèvres. Pauvre Daniel, qui a fui l’hiver persistant de la Suisse pour se retrouver sur ce finisterre transpercé par les rafales. Mais je le voulais, moi, ce froid qui tire sur les paupières et assèche le visage. Cette descente interminable jusqu’au fond des déserts d’épines. Ces nuages s’étirant sur tant d’espace qu’ils peuvent jouer aux galaxies. Cette route qui perd épisodiquement son goudron et chante d’une voix chevrotante la secousse des pistes.

Regarder, regarder, regarder, les muscles transis. Parler de moins en moins. Le monstre fuligineux du retour qui plane derrière moi, rôdant dans la baie du Rio de la Plata, est assez. Je ne cherche guère d’autres présences. Les rencontres sont devenues plus difficiles, car moins nécessaires. Ce n’est plus un saut, ce n’est plus l’Inconnu effrayant et euphorisant à la fois, c’est un sursis. Converser avec mon compagnon de route devient plus simple, passées les retrouvailles ; les dialogues de deux ou trois films aimés deviennent la langue commune, et cela suffit au partage. Mes nuits sont peuplées d’absurde, de femmes connues ou imaginaires, de l’inconscient grouillant de voix familiales et familières, le boomerang et son bruit de pales décélérant ; mes jours sont des puissantes doses de drogue dure, plaines, ciels, condors planant sous les cimes découpées, visions presque hallucinées de ma propre figure, figurine au lointain, marchant les yeux ouverts, légères traces de chaussures entre les brindilles du globe si bienfaisamment indifférent.

La liste ridiculement longue de toutes celles et ceux que j’ai rencontrés en presque sept mois, côtoyés deux heures ou trois semaines durant, est un drapeau enroulé sur lui-même au fond de mon sac. Je les imagine, les sédentaires parmi eux, répétant ces gestes que j’observais, les meilleurs jours, avec des yeux de voleur de poules. Les voyageurs parmi eux continuant d’être secoués par quelque autocar à musique bon marché, ou d’arriver sur quelque plage nouvelle, ou de se frotter les yeux du poing à quelque frontière. Tous ces visages, plus que les noms déjà largement oubliés, se dessinent quelque part, là, dans mon dos, comme ceux des proches qui m’attendent et que j’attends de retrouver. Mais je tente, en tournant mon propre visage vers une nouvelle bourrasque, d’abandonner le fantasme d’accumulation qui pousse en avant, qui fait miroiter le bitume. Je me déprends des maîtres et des mythes, des conseils et des lectures. Je sais déjà qu’il n’y aura rien, là-bas, tout au bout. Rien que des agences de voyage au nom vaguement austral, des types en anorak qui parlent français ou suisse-allemand, quelques cybercafés, et du vent.

Il n’y aura rien, et impossible, d’ailleurs, de ne pas le savoir : vous trouverez toujours un cynique, vous croiserez toujours un pontifiant nomade dans une quelconque auberge du continent pour vous assurer qu’Ushuaïa, ça ne vaut pas le coup, qu’on n’y va que pour dire qu’on y est allé… Quelle idiotie. Seuls les imbéciles y vont pour le dire : les autres y vont pour y être. Pour constater que le monde, et par conséquent l’homme, a quand même des limites. Pour se rassurer, peut-être. Pour assouvir un désir primaire, ou pour une simple question de trait de crayon à tracer sur une carte. Pour le regard des petits-enfants qu’on espère avoir un jour, lorsqu’on leur tendra ladite carte, vieux papier jauni, achetée sans but précis dans une librairie de la ville la plus proche de l’anticontinent.

On y va pour faire honneur à un rêve puissant d’il y a quelques années : moi, glissant sur la route côtière d’Amérique du Sud, catapulté ensuite sur le rivage du bout du monde, debout sur les galets gris dans le jour venteux, tandis qu’en face, au lointain, se dresse un vaste continent de glace bleu blanc dans une sorte d’éternelle nuit d’étoiles… Faire honneur à un rêve ? Quel romantisme. On y va, surtout, parce qu’on le peut, et c’est déjà une raison que tant rêveraient de pouvoir invoquer.

Je n’ai pas encore mis les pieds au bout du monde : j’avance sur la Terre de Feu, qu’on a baptisée ainsi parce qu’on y a vu, de loin, les foyers des hommes et des femmes qui y vivaient, tous exterminés depuis par les armes et les maladies. Entre les villes à supermarchés, les phares et les propriétés privées d’aujourd’hui, cohabitent les moutons, qui parfois envahissent la route, et les lamas méridionaux nommés guanacos, les vaches, les chevaux, les oies noires et blanches s’envolant d’un seul mouvement, plus au sud les pingouins, et certains lions de mer. Quelques baleines à bosse. Voici la Terre de Feu, et voici la véritable encre de Patagonie : la couleur noire des ruisseaux de cette île, creusés dans la lande aux buissons dorés.

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Quel touriste, ce voyageur http://www.mou.ch/matthieu/wordpress/?p=956 http://www.mou.ch/matthieu/wordpress/?p=956#comments Thu, 02 May 2013 14:07:26 +0000 matthieu http://www.mou.ch/matthieu/wordpress/?p=956

« Le tourisme traque le mythe et annexe les uns après les autres les ultimes déserts de l’aventure et de l’exotisme. Qui peut dès lors se prévaloir dans les faits d’être plus voyageur qu’un autre ? »

Jean-Didier Urbain

Deux livres, offerts par deux amis, m’ont accompagné parmi d’autres au cours des premiers mois de ce voyage : L’appel de la route de Sébastien Jallade, sous-titré « Petite mystique du voyageur en partance », et L’idiot du voyage de Jean-Didier Urbain, sous-intitulé « Histoires de touristes ». Ils m’ont amené à faire rationnellement le constat qui s’imposait déjà intuitivement : malgré l’écume de l’Atlantique et les descentes au fond des mines d’or, je fais quelque chose d’extraordinairement banal.

Je suis un voyageur du XXIe siècle : j’ai des décennies de démocratisation du voyage et d’expansion du tourisme jusqu’aux moindres recoins (cargos et mines inclus), ainsi que l’explosion des moyens de communication, qui fait que l’on peut envoyer une photo de sa bobine depuis (presque) n’importe quel endroit du globe, derrière moi. Je traverse l’Amérique du Sud, comme tant d’autres Suisses, Français, Européens, Nord-Américains, Océaniens et autres jeunes chanceux nés dans un pays riche et favorisé par les dieux des visas, guitare sur le dos, appareil photo en bandoulière ou plume au carnet. Je parcours, à quelques pas de côté près, le gringo trail, le chemin du gringo.

« Nous ne sommes pas des touristes, nous sommes des voyageurs », a dit un jour un ami de la famille, en m’incluant dans le restreint cercle des élus. Mais les plus convaincus des « voyageurs » auront toujours bien de la peine à sincèrement définir ce qui élève leur statut au-dessus du tourisme, en dehors d’un privilège et fantasme que Jean-Didier Urbain appelle « le syndrome d’Armstrong » : être le premier. Le premier type qui a marché sur l’époustouflant glacier Perito Moreno, non pour le découvrir et le mesurer, mais bien simplement pour le voir, était autant un touriste (ou un voyageur) que le type qui, en 2013, s’y balade avec un groupe de quinze autres types en veste gore-tex. Entre le touriste, mot devenu péjoratif en Europe (alors que dans toute l’Amérique du Sud, dire d’un lieu qu’il est « touristique » est encore totalement positif), et le supposé « voyageur », analyse très finement Urbain, il n’y a donc pas de différence de nature, mais de degrés : le voyageur est simplement un aristocrate, qui reproche au touriste de lui voler ses privilèges, de « banaliser le monde ».

En résumé, ma route est banale, et je ne suis même pas certain d’être un « vrai voyageur », concept fumeux et évasif : sale temps pour le petit Armstrong qui sommeille en moi. Et pourtant j’ai ouvert ce site, écrit ces textes, pour que d’autres connaissent l’expérience forcément unique qui est la mienne, certainement par « volonté inavouée d’inventer mon épopée personnelle », comme l’écrit Sébastien Jallade. Le récit légitime le voyage. Mais le voyage existerait-il sans le récit ? Car « à raconter son voyage, on enchante sa mémoire. On vit deux fois. » Volonté très contemporaine de se démarquer, de prouver sa différence.

Il faut se garder, pourtant, du cynisme. Et si n’être qu’un de plus, parmi tous les routards en quête de soi et des autres sur les routes, n’était pas une impasse, mais une bénédiction ? Pourquoi ne pas s’atteler, comme dit Jallade, à « une redécouverte inépuisable de ce qui existe déjà » pour « arracher à la géographie du monde une parcelle singulière de vérité » ?

Posons un constat : en termes de voyages, comme de littérature, d’ailleurs, tout a probablement déjà été fait. Laissons à d’autres la velléité de battre le record du tour du monde en banane gonflable. Tout a déjà été fait, très bien : ne nous en soucions plus. Non plus poids écrasant, décourageant, mais liberté. Dans chaque tableau vu et revu demeure un interstice pour chacun, parfois bien davantage.

Depuis six mois, j’ai fait des choses que très peu de voyageurs, ou touristes, ont fait, et d’autres que tous, sans exception, ont inclus dans leur itinéraire. En redescendant du Perito Moreno, sur lequel j’ai marché crampons aux pieds, je me dis que tout cela n’a plus beaucoup d’importance. Beaucoup moins d’importance qu’une certitude : voilà l’une des plus belles choses que j’aie vues dans ma vie déjà riche en choses belles. La vision de ce glacier se séparant soudain d’un pan entier de sa muraille, cet immense bloc bleu blanc s’effondrant dans l’eau grise. Les vagues projetées jusqu’aux rives voisines constellées de petit morceaux de glace. Le silence s’ensuivant le fracas, le silence une fois tout le monde parti en file indienne sur le sentier qui mène au débarcadère, au petit bateau (Armstrong à l’envers…). Silence et beauté. Le glacier redevenu calme dans l’air froid. L’eau nacrée qui s’apaise. Sur ce rivage un arbre, élancé et nu, ses six rameaux en contraste sur le ciel blanc. Cet arbre à côté de ce gros rocher humide, poli, déposé doucement à cet endroit, comme un dé de titan. J’ai fermé les yeux sur cette vision et les millions de nuances de couleurs qui existent en une seconde, tourné le dos à tout cela et n’ai rouvert les paupières que pour m’enfoncer dans la forêt ; mais à nouveau, le silence et la beauté, les troncs morts exhibant leurs racines en arabesques, couverts de mousse émeraude comme les troncs vivants dressés entre les tapis de feuilles jaunes. Je n’ai jamais vu une telle forêt de ma vie, ai-je pensé en tentant de toucher chaque arbre, chaque bris d’écorce du regard, en suivant la veste bleue de Daniel sur le chemin balisé, en rejoignant les groupes en gore-tex, en me dirigeant vers la jetée. Sur la rive j’ai marché entre deux arbustes de calafate, un gros buisson épineux qui donne son nom au village voisin. Celui qui mange de ses baies, dit-on, reviendra en Patagonie.

« Chaque témoignage que nous portons, aussi imparfait soit-il, préserve une part de mystère », écrit encore Jallade. Dois-je préciser que les textes de ce site ont eu pour but véritable, plus que d’expliquer ou de raconter mon voyage, d’éveiller la curiosité des lecteurs envers ce mystère-là ? A eux de juger du résultat, pour quelques semaines encore. Je ne sais ce qu’ils auront vu dans ces mots laissés derrière comme une expiration régulière, partie immergée de l’iceberg du récit raconté à soi-même. Une chose est sûre : c’était l’automne, sur ce chemin creusé dans un rivage strié par une immémoriale ère glaciaire ; c’était l’automne, et il n’y avait pas de fruits aux branches du calafate.

Sébastien Jallade, L’appel de la route. Petite mystique du voyageur en partance, Transboréal, 2009.
Jean-Didier Urbain, L’idiot du voyage. Histoires de touristes, Payot, 1991.

Rencontre Et là, crac Quels touristes, ces voyageurs (Respirer.) Plisser les yeux Lueur L'heure des crampons En route pour le Chili Venteux Nom de Zeus Les monts Solo et Fitz Roy Fitz Roy Laguna Capri Le touriste pense Le voyageur réfléchit ]]>
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Sous-marins argentins http://www.mou.ch/matthieu/wordpress/?p=942 http://www.mou.ch/matthieu/wordpress/?p=942#comments Mon, 22 Apr 2013 21:15:34 +0000 matthieu http://www.mou.ch/matthieu/wordpress/?p=942 Bariloche

Bar y loche

Bar et loches

Bar, hello, che!

Bas résille, hochets

Baresi, Yoshi

Bar-mitzvah, yogi

Basses murailles, Ogi

Basse-cour, aïoli

Bah, c’courant, au lit!

Black currant, coulis

Blague courte, en coulisses

Bague d’outre-odalisque

Bagou doux d’Obélix

Ragoût dodu, Félix

Beaucoup d’os, d’hélices

D’aucun don, d’alèses

Dagues et gonzes, à l’aise

Daniel, Gonzalez.

 

(Ecrit en attendant le bus n°72 à destination de l’aéroport de Bariloche, en débarquant sur le tarmac duquel Daniel me rejoint pour m’accompagner presque jusqu’à la fin. Et très humblement dédié à Nicolas Lambert, aussi.)

Par tous les Saints! Peulla Pas loin Lago Frías El Tronador Lago Nahuel Huapi El Submarino llegó! ]]>
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Le pommier de Berta http://www.mou.ch/matthieu/wordpress/?p=927 http://www.mou.ch/matthieu/wordpress/?p=927#comments Sat, 20 Apr 2013 13:39:18 +0000 matthieu http://www.mou.ch/matthieu/wordpress/?p=927 Elle marche d’un pas rapide vers le lac, sur cette rive qui semble avoir été ravagée par un lointain incendie. Elle ramasse une longue branche blanche et nue, continue d’avancer en la portant contre son épaule, comme un étendard. Le jour s’est levé mais pas encore le soleil, le silence couvre les monts boisés tout autour de nous. J’ai dormi la nuit passée dans la petite maison de bois de Berta, qui me conduit, comme prévu hier soir, sur le lieu du drame, de son drame.

Plus haut sur les montagnes poussent les pehuenes, que les Espagnols ont appelé araucarias, de grands conifères qui vivent parfois jusqu’à mille ans. Leurs pignons ont nourri les indigènes Pehuenche pendant des siècles, et leurs descendants continuent de les récolter. Berta Quintreman, 78, 82 ou 84 ans – comme souvent sur ce continent, les chiffres ne sont pas clairs – est l’une d’entre eux. Elle vivait, jusqu’il y a neuf ans, au bord d’une forte rivière qui s’appelle le Bío Bío, dont elle entendait la rumeur depuis son foyer d’entre les arbres. En ce matin glacial qui enserre nos jambes et nos mains, sous nos yeux, le Bío Bío est une vaste étendue immobile : deux barrages l’ont transformé en « désert d’eau ». Réalisés par l’entreprise italo-espagnole Endesa, ils fournissent 10% du courant du principal réseau électrique chilien.

Elle s’avance vers le lac et me parle d’un homme, je crois, je ne comprends que très peu de ses paroles. Des paroles que l’on n’a pas néanmoins besoin de comprendre pour en percevoir la dureté. Soudain, comme pour me montrer ce qu’elle lui ferait, à cet homme, elle lève la branche morte de ses deux mains au-dessus d’elle, et la fracasse contre le sol. La branche se brise en deux. Berta me regarde brièvement. Puis reprend son soliloque, en maudissant ceux qui ont inondé son ancien verger. On en voit encore le sommet des arbres, blancs et nus, émerger du lac, et leur présence contre-nature, comme la bande de terre pelée marquant l’ancien niveau du lac sur les collines, dégage une ambiance de mort, au milieu de cet horizon de beauté. « A côté de ce pommier, là, au milieu, je suis née » me dit Berta en pointant du doigt l’une des silhouettes à moitié immergées. Puis elle retourne à sa colère. « Ce sont des bandits, des crapules. Des sans-esprits. Ils sont plus jeunes que moi, et ils pensent qu’ils comprennent ? Ils n’ont pas de connaissances. Mais ils mourront, eux aussi. Personne n’est éternel. »

Jusqu’en 2004, date de la construction des barrages, Berta et sa soeur Nicolasa ont tant lutté contre cela qu’elle sont devenues célèbres. Les « ñañas », ont-elles été appelées, « sœurs », en langue pehuenche, sont allées partout, des scènes rock de Santiago au Palais de la Moneda, alors résidence du président Ricardo Lagos, pour clamer leur refus de voir une partie de leur univers sacré disparaître. Mais la communauté de l’Alto Bío Bío était divisée, et une majorité a accepté d’échanger ses terres contre d’autres, plus loin du fleuve, et surtout contre des aides financières, la construction d’infrastructures, des formations et des bourses d’études. Aujourd’hui, c’est toujours l’une des plus pauvres du Chili, et les tarifs d’électricité, comme le taux de suicides et d’alcoolisme, y sont élevés.

Berta se tourne un instant vers le nord, où un sommet est lentement doré par le soleil levant. « Derrière cette montagne, il y a une grande réserve de pignons. C’est la pauvreté, ça ? Non. C’est la richesse. » Elle regarde à nouveau le lac. Je ne dis rien. Il fait froid. Elle sert les poings, et soudain sa voix se courbe. « J’ai toujours de la rage. » Elle détourne le visage. Je baisse mon appareil photo, protubérance soudain très gênante et très incongrue. Je regarde l’eau argentée, les peupliers orangés de l’automne, la brume qui s’accroche aux collines. Je pense à sa mère, à son père, à sa grand-mère qu’elle cite souvent, et qui vivent encore, ne cesse-t-elle d’affirmer, ici, avec elle, comme les esprits de la rivières. Esprit se dit « am » dans sa langue. J’ai cru un instant, en partageant le potage avec elle et sa famille, hier soir, qu’en prononçant ce mot elle me montrait qu’elle savait dire « âme » et connaissait ma langue.

Voilà des années que les « ñañas » ne font plus la une des journaux. Pourtant, le Chili vit, depuis quelques années, une forte polémique à cause d’un projet de deux barrages dans la sauvage région d’Aysén, tout au sud de la Patagonie. On peut trouver tout à fait raisonnables les arguments de ceux qui soutiennent qu’utiliser les vastes ressources hydrauliques du pays, au vu de l’augmentation constante de la consommation d’électricité, vaut mieux que de construire des centrales nucléaires ou importer du gaz et du charbon. On peut au contraire combattre l’altération d’un paysage encore vierge, la construction d’une interminable ligne à haute tension pour ramener le courant vers le centre habité du pays, et vouloir chercher d’autres solutions aux besoins énergétiques.

De même, à Ralco, il suffit d’écouter la façon dont certain expert énergétique de Santiago parle d’elle, de voir le petit sourire et le regard de l’ingénieur José, employé par une fondation financée par Endesa, quand il m’a demandé laquelle des sœurs vit encore « là-haut » ; d’entendre même la voisine amère de Berta décrire avec un peu de mépris comment les Quintreman gesticulaient « pour les caméras » tandis qu’elle et ses proches combattaient vraiment l’Etat et Endesa, pour comprendre que beaucoup détestent « la ñaña ». Il suffit aussi de regarder Eduardo, son fils, et Karmen, la bénévole revenue l’aider comme à l’époque de la lutte, de les voir s’en occuper avec humour et patience, pour comprendre à quel point d’autres l’aiment, voire la vénèrent.

Mais ces sentiments extrêmes de part et d’autre ne disent pas grand-chose, au fond, de la simplicité des faits, d’une vérité brute et irréductible. Celle d’une femme qui vit sa spiritualité non dans des mots mais dans la terre et les rivières. D’une forte et intimidante individualité qu’aucun film, aucune photographie ne capturera vraiment. D’une vieille dame débordant encore de colère, près de dix ans après, en se tenant debout, les poings serrés, face à l’immense partie de son monde qu’on lui a arrachée, blessure que jamais  ̶ dussent ses voisins chiliens réussir un jour à la convaincre de la nécessité des barrages pour éclairer leurs villes, hypothèse totalement improbable – blessure que jamais elle ne pourra comprendre ni accepter.

Réminiscences Rivière immobile Vie et mort Foyer Karmen et "la ñaña" Eduardo Bio Bio Les villes chiliennes Berta ]]>
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Valparaíso http://www.mou.ch/matthieu/wordpress/?p=893 http://www.mou.ch/matthieu/wordpress/?p=893#comments Sat, 13 Apr 2013 19:40:53 +0000 matthieu http://www.mou.ch/matthieu/wordpress/?p=893 Presque fictif (9)

Il est des noms qui se suffisent à eux-mêmes, se dit John Crosh, et le parquet grince.

En relevant la tête, John voit les deux grues grises d’un cargo déplacer des conteneurs rouges ou verts, sur lesquels sont peints les mots Evergreen ou Hamburg Süd. Le bleu de la baie s’intensifie à cette heure de la journée, pense John la nuque légèrement courbée, et le parquet grince car dans la toute petite chambre au bout de l’étage, devant la rampe d’escaliers jaune, Amanda se prépare à sortir.

John a les cheveux en bataille et une barbe blanche, il vit à Homer, en Alaska car il faut bien vivre quelque part, il n’a pas été pêcheur toute sa vie mais assez longtemps pour ne pas devoir expliquer ce qu’il faisait, avant, et il appelle Amanda, même si ce n’est pas exactement son prénom, la jeune Française qui vit dans la chambre monacale en face de la rampe jaune de l’escalier qui craque. Amanda, la jeune peintre à la crinière folle, comme la Matilde de Neruda. La tornade aux yeux verts à qui il a offert une vingtaine de petits sachets de thé rooibos, et John a toujours une femme dans les ports mais son coeur a violemment secoué sa carapace dégingandée lorsqu’Amanda lui a lancé, littéralement lancé un baiser sur la joue, pour le remercier.

Les fissures, entre les toiles accrochées, arpentent le mur de l’auberge comme les courbes de niveaux d’une carte du désert. Une légère odeur d’oeufs pourris monte depuis la rue. John s’approche un peu plus de la fenêtre, ses lèvres se remémorant le goût de la paila de fruits de mer de midi. Il écoute le bois qui grince, les mouettes qui s’éraillent, le port qui produit ce son familier de frigidaire industriel, et se dit que si certains noms se suffisent à eux-mêmes, de même il suffirait de peu de choses…

Il suffirait d’une ville de nobles demeures défraîchies, de cabanes de tôle, de petites maisons colorées s’achalandant, mélangées, déglinguées, sur des collines, les dévalant jusqu’à une promenade pas très belle, exploratoirement colonisée par quelques tours de verre de toute façon rendues muettes par l’océan. Il suffirait d’une rencontre dans une auberge aux bonbonnes de gaz vides et un peu bohème, donnant sur une rue au nom de génie français, que l’on atteint par un long escalier constellé de poèmes, grimpant à côté d’un vieil ascenseur qui ne fonctionne plus. Il suffirait de l’art, d’une part: de ses dessins à elle, ces dessins d’enfants tatoués, couronnés de cornes et de bois de cerf; d’autre part du poisson, de ses bras à lui, puisqu’après tout il s’agit du même océan qu’à Homer, en Alaska, cet océan homérique, comme disait en rigolant Richard, son voisin bien plus vieux que lui encore et que personne, dans cette baie du Capricorne, ne connaîtra jamais.

Il suffirait de quelques regards, d’un ou deux rires. D’un livre acheté place Anibal Pinto, de soirées chez ses amis sculpteurs, ses amis à elle, et il ferait le vieux sage et le vieux fou. Il suffirait de miettes d’empanadas jetées aux chiens et aux chats errants. De payer de temps en temps quarante cents pour prendre le bus jusqu’au terminal, aller faire ressortir à Francisco des coupures de presse des années 20, derrière les rideaux de la chapellerie Woronoff, à moitié mangée par des étals de livres fluos pour enfants made in China. D’acheter le journal au bonhomme à bajoues qui parcourt la colline avec sa petite charrette, en criant « El Mercur-i-ooo! ». D’acheter une bonbonne au bonhomme à casquette annonçant de ses percussions métalliques le passage quotidien du gaz. De promenades dans les ruelles où les graffittis sont des conseils abstraits et des jeux de piste, de promenades au soleil entre les touristes de la Colline Joyeuse; et de visites à Alberto, sa débonnaire barbichette, ses lunettes et son Paolo Conte invitant à flâner dans son atelier de photo sur gomme bichromatée. Peut-être qu’à force de lui rendre visite, parmi ses visions noir-blanc nostalgiques et puissantes, ses silhouettes entre mer et terre, ses femmes posant nues comme à l’époque, peut-être qu’il finirait par leur vendre quelque agrandissement à un prix acceptable, un prix d’habitué…

Il suffirait de si peu de choses. D’un nom de lieu qui se suffit à lui-même, écrit à l’en-tête de lettres fantaisistes envoyées à Toulouse ou dans le Massachussetts. Il suffirait d’un autre siècle, mais déjà la petite clé a tourné dans le cadenas, et Amanda, en une bourrasque de rire clair, prend congé, descend l’escalier jaune, disparaît. Alors John presse ses lèvres l’une contre l’autre et plisse les yeux pour concentrer son regard sur une large péniche anthracite, là-bas, dans la baie. Il pense à cette colline qu’il surplombe et qui s’appelle Cordillera, il pense aux jours désormais comptés de Richard, son vieux voisin homérique, il pense à son billet de bus pour Santiago, pour le nord, pour la Bolivie. Il pense à un jeune homme aux traits flous et aux cheveux en bataille qu’il rencontrera, peut-être, dans une ville au bord du désert d’Atacama, il pense à la mission qu’il lui donnera de livrer deux petits sachets de thé rooibos à une peintre française à la crinière de flammes, habitant une minuscule chambrette au deuxième étage d’une pension déglinguée face au Pacifique, lui donnant, à ce jeune gars en chemise, la mission implicite de séduire et de conquérir Amanda sans savoir qu’elle n’y sera pas, qu’elle n’y sera plus, sans savoir que le mec en mission commencera de rêver, debout devant la vitre, à de longues chevelures noires, à des bateaux vers les îles, au nom d’une ville se suffisant à lui-même, écrit à l’en-tête de lettres fantaisistes envoyées à tous ceux qui auraient oublié l’itinéraire menant au paradis.

 

Sin Kurt La micro Hierbabuena Habitant Direction Vies Morts Face à Rapa Nui Anars Regards Patata Comme avant Gomme bichromatée Alberto Universidad Woronoff Francisco Almuerzo Penser Parler Va au paradis

 

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Panamericana http://www.mou.ch/matthieu/wordpress/?p=883 http://www.mou.ch/matthieu/wordpress/?p=883#comments Thu, 28 Mar 2013 15:40:39 +0000 matthieu http://www.mou.ch/matthieu/wordpress/?p=883 Je me souviens parfois de tous les bus matinaux que j’ai ratés, vu défiler en grimpant la rue qui part de chez moi, la sacoche ouverte, les lacets à peine noués, je m’en souviens en m’asseyant six, dix-sept ou vingt-trois heures durant dans ceux de la Panaméricaine.

Quatre mois qu’elle me suit comme une ombre, que je la cherche, pourtant nous sommes déjà de vieux amants, la Panaméricaine et moi. Comme une vieille amante elle est frustrée, car je ne fais que l’effleurer à chaque fois, en montant dans les bus qui tous arborent Jésus Christ dans le cockpit mais qui s’appellent Bolivariano, Soyuz, Civa, Cruz del Sur, Oltursa, Power, Tur-Bus ou Flota Imbabura. Depuis Medellín, en passant par Cali Ipiales Tulcán Quito Latacunga Ambato Cuenca Chiclayo Trujillo Lima Nazca Arequipa Tacna Arica Antofagasta La Serena Santiago du Chili, ils me trimballent le long de son corps qui tantôt s’enroule autour des montagnes nues ou luxuriantes, tantôt s’étire à n’en plus finir dans le désert d’Ocucaje ou celui d’Atacama; parfois ils m’abandonnent dans un improbable port coincé entre la dune et le Pacifique, parce que j’ai eu la mauvaise idée d’en descendre pour satisfaire quelque besoin élémentaire, et il me faut les rattraper en taxi, je pourrais être en costard et vrombir “Suivez ce bus!” mais je suis en t-shirt et j’ai une bouteille d’eau dans la main… Ils me plient en quatre ou me bercent de leur grondement mais ne nous laissent jamais seuls, la Panaméricaine et moi.

Car une malédiction s’abat, en outre, sur cette langue de bitume et sur tous ces cageots roulant sur un continent qui ne pleure même pas ses chemins de fer disparus. Cette malédiction s’appelle Chuck Norris. Ou Jason Statham. Ou Transformers, CIA, héroïsme militariste et quintessence de la bêtise cinématographique états-unienne. Au bout du dix-septième bus à se terrer dans ses boules Quiès, on se demande : s’agit-il d’un complot ? D’un grand malentendu ? D’un avion de fret larguant à intervalles réguliers les invendus des majors de Los Angeles au-dessus des territoires de la colonie économique, « c’est peut-être un fils de p…, mais c’est notre fils de p… » ?

La seule certitude est que des millions de latinos et de routards éberlués associent désormais, chaque jour et chaque nuit, les côtes colombiennes à l’évangélisme le plus lourd, les déserts de Lambayeque aux tirs de mitraillettes, l’Amazonie infinie aux grosses ficelles, aux dialogues bas du front, à la violence la plus gratuite ou aux rires les plus niais. Ô délicieuse paix, alors, lorsque c’est soudain Intouchables qui apparaît à l’écran, même deux fois de suite. Ô la douceur et la beauté complexe des visages dans la lumière finissante, lorsque le regard s’arrache du clinquant hideux de la lucarne maudite. Ô le silence que l’on imagine, en regardant par la vitre, et que l’on ne découvrira jamais, car jamais l’on ne sera seul avec la Panaméricaine.

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Au bord du ciel, ou dans la merde http://www.mou.ch/matthieu/wordpress/?p=863 http://www.mou.ch/matthieu/wordpress/?p=863#comments Sun, 24 Mar 2013 00:10:26 +0000 matthieu http://www.mou.ch/matthieu/wordpress/?p=863 Dialogue imaginaire, pour Daniel.

D: – Alors, mon vieux, qu’est-ce que ça fait, de rentrer de quatre jours de vélo et de marche autour et jusqu’au Machu Picchu, le long des rivières et des vallées, entre les pics et les volutes de brume, en compagnie d’Argentins, de Chiliens, d’Uruguayens et d’Allemands rigolos, de rentrer de tout cela, donc, à ton hôtel de Cusco pour y découvrir ton grand sac à dos trempé jusqu’aux coutures, ordinateur inclus ?

M : – D’abord, c’est le choc. Tu viens de passer quatre jours heureux dans la jungle et sur les pentes. Tu rentres d’une journée commencée à 4 heures du mat, lors de laquelle tu as marché pendant sept heures sur mille mètres de dénivelé, tu es entré de tes petits pas de fourmi humaine dans l’enceinte de l’une des sept merveilles du monde des fourmis, tu as vu la brume se dissiper autour d’un pic dressé entre les contours puissants de la rivière Urubamba – un pic qui paraissait immense et qui, une fois contemplé depuis 3000 mètres, semble un petit sapin dans une forêt de pins californiens ; tu as regardé regardé regardé la rivière le ciel les montagnes la jungle les papillons les temples du soleil, le nouveau chemin inca découvert il y a peu dans l’inextricable montagne d’en face se perdant dans les nuages, tu as sué sué sué dans ton sac à dos pour faire comme les Quechuas, tu as imaginé la cime blanche du Salkantay au-delà du visible, tu es redescendu, tu as pris un train et un bus, tu n’as plus de caleçon propre, tu rêves d’un bon lit et d’une douche et boum. Ton sac est détrempé et dégueulasse, à cause d’une inondation dans l’hôtel, les égouts complètement saturés ont explosé pendant ton absence, et l’argent n’a pas d’odeur mais tes 80 dollars glissés dans une chaussette noire, eux, sentent la merde.

D : – Et tes carnets ?? Pauvres plumitifs que nous sommes, qu’est-ce que ça fait d’extraire du sac de merde tes carnets et tes feuilles de notes effacés ?

M : – Bon, ca lui apprendra, au plumitif : ce qui est écrit au stylo a survécu. Tout ce qui l’était à la plume à réservoir a disparu, les feuilles gondolées et vierges à nouveau, comme une invitation au palimpseste de mon propre voyage… Et puis non, je n’apprendrai rien. Je continue d’écrire à la plume.

D : – Et alors ? T’as tapé l’hôtelier ? T’as appelé l’ambassade ? T’as pondu un reportage dans les égouts de Cusco ?

M : – Non, je me suis assis la tête entre les mains un petit moment, puis j’ai suivi mes amis Pauline et Camilo dans un autre hôtel, et j’ai dormi. Les jours suivants, j’ai amené mes appareils électroniques chez un geek péruvien. Verdict : lecteur MP3, enregistreur, PC hors-service. Une leçon de détachement, quoi, et des emmerdements pour continuer le blog. Malgré tout, ça a été d’excellents jours, à Cusco.

D : – Ouais, ouais, je sens que tu me caches quelque chose… Et là, tu pars pour Arequipa, puis le Chili. Et la jungle péruvienne ? Les montagnes des incas ? Tu vas nous laisser comme ça ?

M : – T’as qu’à regarder les photos. Une chose, tout de même : les flots de l’Urubamba jaillissent, explosent et grondent comme les entrailles d’un empire englouti. Un empire inca, si tu veux. Quand tu es au bord, quand tu les regardes depuis le bord du ciel, tu respires et ça te laisse comme des globules de beauté dans le sang. Comme avec un visage aimé.

D : – Un visage aimé, hein. Tu ne couverais pas une petite mélancolie, toi ?

M : – Non, bien au contraire. Comme un type l’a blogué ailleurs : je ne sais pas pourquoi, mais ça me fout la pêche.

Entrailles englouties Urubamba Autre chemin inca Tin tintintintiiiin Le pic joyeux Paulina y yo Trek de gros bras L'aube, tu captes? Le voici Profession: garde-touristes Sur le Mont Machu Waouh Bonne surprise Bye, bye Ciao, ciao ]]>
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Buenos días, sous la terre http://www.mou.ch/matthieu/wordpress/?p=827 http://www.mou.ch/matthieu/wordpress/?p=827#comments Thu, 14 Mar 2013 00:35:26 +0000 matthieu http://www.mou.ch/matthieu/wordpress/?p=827 Il est peu avant sept heures du matin à Santa Filomena, village de quelques milliers d’âmes qu’on atteint, depuis la Panaméricaine, par une piste cahoteuse qui grimpe 2400 mètres, et précipite les lacets alpins reliant St-Luc à Zinal au rang d’autoroute.

Il est peu avant sept heures, le soleil émerge d’entre les montagnes nues, et des centaines de fourmis bleues à tête rouge s’amoncellent sur une petite colline de pierres qui domine deux cabanes, une petite croix et une bouche noire ouverte dans la terre.

Je les regarde un moment, éberlué, le ventre alourdi par un petit déjeuner d’avoine, de lentilles et de riz. Puis César, large et calme gaillard au visage plat, me fait entrer, quelques pas poussiéreux plus loin, dans l’économat de l’entreprise. « Taille 43, ou 44, on n’a pas, hein ? » demande-t-il au maître des lieux, que j’aurai cinquante fois l’occasion de confondre avec tous les hommes casqués me croisant sous le soleil d’un « bonjour » ou d’un « bon après-midi ». Après un petit tour entre les étagères, il m’amène un sac en plastique contenant une paire de chaussures de chantier noires, flambant neuves. Va pour du 43, les orteils rentrés.

César Neyra est l’un des deux responsables de la sécurité sur la concession de SOTRAMI SA. « Parfait ! » lance-t-il en me voyant enfiler un pantalon kaki qui aurait la place d’accueillir Michael Moore. Deux minutes plus tard, une veste trop large aux épaules et trop courtes aux manches sur le dos, j’ai l’impression d’avoir revêtu mon uniforme de la Protection civile, à ceci près qu’à Santa Filomena, l’une des innombrables mines d’or du Pérou, il se passe quelque chose d’intéressant.

Sept heures vingt : la consultation du lundi matin a commencé. Les mineurs écoutent sous leurs casques rouges, disséminés sur les ruines de ce qui était, jusqu’il y a quatre ans, le village, relocalisé, depuis, cinq cents mètres plus loin – la « terre promise », me dira plus tard un vieux de la vieille. Ils ressemblent à une armée rebelle écoutant leur chef détailler la stratégie d’attaque pour faire rôtir l’Etoile Noire de l’Empire, mais, en l’occurrence, le chef est l’ingénieur Soto, le boss de César, qui leur rappelle quelques consignes de sécurité. Certains d’entre eux demandent la parole pour exprimer leurs doléances, « ça, ingénieur, ça ne va pas, ingénieur ». Rolando, le moustachu directeur de production, écoute les bras croisés puis, à la demande générale, s’empare du mégaphone, mais pour appuyer Soto.

La température est agréable, à cette heure, le soleil du désert ne tape pas encore sur les oreilles, mais tout en blaguant, en conversant, on se disperse bientôt, on forme une file indienne, on disparaît un à un dans la bouche noire. Il est huit heures : César m’installe ma lampe frontale, mon filtre à poussière. Il sourit : « Entrons dans la mine. » Nous entrons.

Le mieux, pour comprendre ce qui suit, est d’imaginer un cousin de Dark Vador en train de descendre l’échelle d’une interminable cage d’ascenseur, les cuisses qui tremblent et une sacoche d’appareil photo autour du cou l’empêchant de voir où il met les pieds. En tenant compte du fait que la cage d’ascenseur rétrécit à tel point, de temps en temps, que le cousin de Dark Vador défie mentalement Michael Moore de venir faire, lui, un reportage pareil. Et dire que je trouvais « brut » l’univers des marins.

La mine de Santa Filomena a onze niveaux souterrains. Parce que j’ai claironné vouloir photographier les mineurs en action, César a décrété que nous descendrions au septième sous-sol, là où ont lieu les perforations. Au deuxième, je rigole. Au troisième, je sue comme un taureau dans l’arène de Pampelune. Au quatrième, lors d’une brève pause au bord du tunnel incliné du chariot par lequel passent tous les chargements – contrairement à celui d’Indiana Jones, celui-ci est jaune, hermétiquement fermé et porte en grosses lettres le mot CATERPILLAR – César croit bon de m’expliquer les différents codes du panneau de contrôle du chariot : une sonnerie pour l’arrêter, deux pour le faire descendre, trois pour le faire monter, une longue plainte quand il y a urgence, etc. Les tempes broyées par mon casque de champion, je fais de mon mieux pour avoir l’air de l’écouter. Hormis le ronronnement rocailleux du monte-charge, il n’y a aucun bruit dans la mine, jusqu’à ce qu’un garçon en marcel n’arrive, tirant un autre chariot – du 100% Indy, celui-là – chargé de pierres, qu’il déverse dans un bruit d’enfer à travers une grille sur le sol.

Chaque échelle mesure trois mètres, et il y en a 71 jusqu’au niveau 7. Nous allons donc, en comptant la longue pente à l’entrée de la mine, bientôt atteindre 300 mètres de profondeur.

Au niveau 7, il ne fait pas plus frais. César répare mon casque avec du fil de fer. Je prends des photos de pantalons qui pendent depuis une corde dans un tunnel. Roche, poussière, obscurité balayée par les ampoules du plafond et au front des hommes. Il faut quelques contorsions pour atteindre un sous-niveau d’un mètre cinquante de haut, où perforent deux messieurs, Buenos días, buenos días ! Je mitraille. Je sue. Mon casque me scie le front. Et puis merde, ça ira comme cela.

Nous remontons. Cette fois, Dark Vador sent la fin de l’Empire approcher : mon masque fait un bruit de pales d’hélicoptère. Je dois me reposer presque à chaque niveau. Parfois des sacs de riz entassés obstruent le passage, remplis de pierres de différentes tailles. A la lumière de la torche, elles brillent de jaune, de rouge, de blanc. Le minerai.

Quelques centaines d’échelles avant la surface, nous atteignons un croisement où une dizaine de mineurs, avachis contre le mur ou sur les sacs de riz, prennent leur pause. Je me laisse tomber sur un replat rocheux. Le type à ma droite ouvre un immense sac en plastique rempli de feuilles de coca à mâcher, et m’invite à me servir. « Pour que tu finisses la remontée en courant », ajoute César, et tout le monde rigole. Je m’exécute. « Il ne faut pas avaler », m’explique un jeune à barbichette originaire de Lima, assis en face de moi. « Tu en prends assez pour former une boulette que tu gardes dans la joue, et tu la craches, plus tard. » Je mâche, mais quelque chose cloche : pas de boulette à l’horizon. « Chez moi, la coca disparaît », dis-je. Hilarité générale. Je prends quelques photos. Ça blague. « Tu vas être dans une revue européenne, pé ! » Ça mâche, ça rigole. Bientôt, pour eux, l’heure de remonter manger. Puis de descendre à nouveau les milliers d’échelons pour ramper, porter, perforer. Ceux qui ont commencé tôt finiront à 14 heures, puis joueront au foot sous le soleil ardent, sur un terrain de pure poussière. Il n’y a pas un arbre à Santa Filomena, et très peu d’eau, que des camions amènent dans des citernes depuis un bassin de rétention, une heure plus bas. Les mineurs travaillent six jours sur sept ; parfois, le dimanche, ils partent en excursion à la plage. Ou jouent au foot dans la poussière.

Ils gagnent 1200 soles (500 francs suisses) par mois, et se serrent la main un nombre incalculable de fois par jour. Ils forment le personnel de la première mine d’or du Pérou certifiée « fairtrade/fairmined » par un organisme de commerce équitable. Ils suivent des règles strictes de sécurité, dépendent d’un directoire d’anciens mineurs du lieu, peuvent demander, en cas de maladie, un soutien au (maigre) fonds constitué par la prime sur l’or certifié que verse un joaillier anglais. En sortant de la bouche noire, épuisé, sifflant ma bouteille d’eau distribuée par The Coca-Cola Company, je n’ose imaginer ce qu’est, en comparaison, la vie des millions de mineurs moins bien lotis, moins protégés, illégaux, qui creusent à n’en plus finir des galeries à peine respirables dans le vaste et si riche sol de ce continent.

Lundi matin Lundi matin (2) Ingeniero, ça va pas Minero 1 Minero 2 Minero 3 Minero 4 Minero 5 Mineros Rolando Protection Avant, ça rigole La bouche Taupes Perforation Pause coca Allô Attente Tout ça pour ça Indy Agotado Santa Filomena Payaquera Vieux de la vieille Impact Futurs lingots Valeria ]]>
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